[ Je m'excuse aurpès des modérateurs et adminsitrateurs pour ce double-post, mais la suite de l'histoire a été coupée en raison de la limite des messages ^^" ]
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Un océan de sang s’étend sur le sol, formant d’étranges arabesques sur les dalles blanches. Les meubles, renversés, répandaient leur contenu de part en part. Un vase brisé laissait couler son eau qui se mélangeait au sang alors que la maison entière était la proie du désordre et du liquide vital qui ornait murs et sols. Effrayée par cette vision de chaos, Alyanna ne put esquisser le moindre geste, ses yeux affolés allant d’un endroit à l’autre de la pièce, effleurant une table brisée, ignorant une toile éventrée, passant sur un corps étendu…
Un corps ?
Le cœur serré par l’angoisse, la jeune fille s’avança prudemment, espérant que la silhouette qui gisait à quelques mètres était celle d’un inconnu, peut-être celui qui les avait attaqués et qui avait été tué, peut-être…
Non, ce n’était pas ça, c’était un corps de femme. Une femme qui avait été magnifique de son vivant, qu’il aurait été au-delà de la mort si un rictus de terreur n’avait pas étiré ses lèvres ensanglantées et si une plaie hideuse n’aurait pas barrée sa gorge.
« NON ! »
Sans comprendre que c’était bien elle qui avait hurlé, Alyanna tomba à genoux aux côtés du cadavre de sa mère, la prenant dans ses bras, l’appelant, criant son nom, caressant ses cheveux, désirant la voir ouvrir les yeux tout en sachant pertinemment qu’elle ne le pourra pas. Des larmes coulent sans que l’adolescente songe que c’est elle qui pleure. Elle se moquait de ses larmes, de sa souffrance, de sa détresse, elle voulait juste que sa mère revienne à la vie.
« Alyanna ! »
La jeune fille relève la tête et voit, caché derrière un meuble, Akmet, recroquevillé et sanglotant, qui la fixait. Non, il ne la regardait pas elle, mais un point derrière elle, Alyanna était toutefois trop désorientée pour s’en rendre compte :
« Akmet ! Qu’est-ce qui s’est passé ? Qui… »
« Derrière toi ! » hurla-t-il
Elle n’eut pas le temps de se retourner, ni de crier que déjà la lame mordait son épaule, déchirait son dos dans toute sa longueur avant d’achever sa course dans l’aine. Douleur insoutenable. Ses forces s’enfuient par la blessure béante, tout comme sa vie. La dernière chose qu’elle vit fut une haute silhouette noire qui avançait vers son frère, un sabre serpenté en main.
Puis elle sombra.
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Papa, Maman, Akmet, où êtes-vous ?
J’ai froid, j’ai peur, j’ai mal…
Je ne veux pas mourir.
JE NE VEUX PAS MOURIR !
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« NON ! »
Alyanna se relève brusquement, de la sueur coulant le long de son dos. Une chambre, elle se trouvait dans une chambre blanche, entièrement blanche. Paradis ? Enfer ?
La jeune fille sent une nausée tenace l’envahir et jugea préférable de se rallonger. Alors que sa tête se reposait sur l’oreiller, les images surgirent de son esprit, la frappant en plein cœur.
Bain de sang, corps sans vie, lame mortelle.
Sa mère et son frère… son frère.
Alyanna hurle. De rage, de désespoir, de douleur, et ne voit pas son père s’avancer vers elle.
Sayin s’assit auprès d’elle, lui caresse les cheveux, la rassure du mieux qu’il peut. Brisée, la jeune fille se blotti contre lui, sanglotant contre son épaule :
« Papa… Papa…, pleure-t-elle, Maman… on l’a… l’a tuée. Akmet… Akmet… »
« Akmet a disparu. »
Alyanna lève les yeux vers son père et le lac argenté qu’elle croise n’est formé que d’eaux emplies de désespoir et de douleur. Infinies.
« Où ? Qui ? Pourquoi ? » demande-t-elle d’une voix entrecoupée de sanglots
« Je ne sais pas, Alyanna, j’ignore tout. Mais je te promets que je trouverais. » répondit son père sans cesser de la serré contre lui.
Ils restèrent longuement ainsi, l’une pleurant, l’autre retenant ses larmes. Elle, effondrée, s’appuyant sur le seul et unique rempart qu’il lui restait, lui. Alors qu’Alyanna laissait couler ses dernières larmes, Sayin s’écarta doucement. Il prit les mains glacées de sa fille entre les siennes, l’obligeant à le regarder droit dans les yeux :
« Ecoutes-moi bien, Alyanna. Il faut que je parte. Les rêveurs t’ont sauvé d’extrême justesse mais ils ont déclaré que tu garderas la cicatrice et qu’ils te garderont avec eux le temps que tu retrouves la totalité de tes forces. »
« Non ! rétorqua-t-elle, non ne me laisse pas ! Reste, s’il te plaît ! »
De nouvelles larmes inondèrent ses yeux argentés. Elle avait peur, peur de cette silhouette noire qui avait massacrée sa famille et piétinée sa vie, peur de la brûlure de sa blessure, peur d’être seule, peur de l’inconnu…
Déchiré par le choix qu’il venait de faire, Sayin se contint. Pour ne pas s’effondrer.
« Je ne t’abandonne pas, je serais toujours là pour toi, tu le sais. Mais je dois retrouver ton frère et venger ta mère. »
« Alors emmène-moi ! répliqua Alyanna d’un ton féroce, moi aussi je veux retrouver Akmet et tuer celui qui a égorgé Maman ! »
« Non, répondit son père d’une voix sans appel, je te condamnerais en t’emmenant avec moi. Tu seras en sécurité à Fériane, je viendrais te chercher après, je te le promets. D’accord ? »
« Je… d’accord. »
La jeune fille baissa la tête. Sa mère morte, son frère disparu et son père qui allait disparaître…
Sayin déposa un doux baiser sur son front avant de lui murmurer à l’oreille :
« Je vais t’offrir quelque chose. Quelque chose dont tu ne devras te servir que si tu y es obligé. »
Lentement, il tira de son ceinturon de cuir deux longues et larges dagues, parfaitement identiques, si ce n’est pour le diadème qui ornait leur pommeau. Leur lame, courbe et redoutable, laissait deviner les blessures effroyables qu’elle pouvait infliger. Il les déposa sur une table de chevet siégeant aux côtés du lit avant de reporter son attention sur sa fille :
« Ces dagues sont mon héritage, expliqua-t-il, je sais que tu sais déjà très bien combattre mais il faut que tu continues à t’entraîner. Ne t’en sépare jamais, garde-les sur toi jour et nuit, et frappe si jamais on te veut du mal. Ne laisse jamais personne te faire du mal, Alyanna… »
Il prit dans ses bras, la serrant contre son cœur comme pour graver dans sa chair le corps de sa fille, s’écarta de son lit. Après une dernière caresse du regard, il quitta la pièce.
Il ne pleura que lorsque les portes de Fériane se refermèrent sur lui.
Sayin s’effondra sur le sol, l’âme brisée et le cœur en miettes.
On avait égorgée sa femme, enlevé son fils, blessée sa fille.
On avait détruit sa vie, on lui avait arraché ce qu’il avait de plus précieux, on lui avait retiré ce qui ne pouvait jamais être rendu… jamais.
Toutefois… il avait menti.
Il savait qui, il savait pourquoi.
Et il allait se venger. Le sang coulera, la mort frappera. Il en faisait le serment.
La seule chose qu’il ignorait c’est que sa fille avait fait le même serment.
En serrant entre ses doigts les dagues de son père.
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La lame siffla à quelques centimètres de son visage.
Alyanna pivota, se baissa, évitant le poignard qui filait vers sa gorge, tendit la jambe et frappa. Le coup, parfaitement ajusté, brisa la rotule de l’homme qui tombe à genoux. Loin d’en avoir fini avec lui, la jeune fille le fait s’étendre au sol d’un coup de pied rageur qui fit jaillir de son nez brisé une fontaine de sang. Son agresseur se ressaisit un instant, tend le bras pour planter son poignard dans le ventre de cette gamine présomptueuse qui, en plus d’avoir résistée à ses avances, l’humiliait. Avant même d’avoir pu rassembler ses forces, il sent sa vie qui l’abandonne et contemple, effaré, la large dague qui venait de lui trancher la gorge.
L’ivrogne s’affaisse sur le sol, mort avant même que son corps heurte les pavés froids de la rue sombre où il avait piégé Alyanna. Ecœurée, la jeune fille essuie sa lame sur la tunique de son assaillant avant de s’éloigner, sentant un haut-le-cœur l’envahir. Elle savait qu’Al-Far était une ville dangereuse, avec un taux de criminalité important mais jamais elle n’aurait songé à quel point la situation était horrible. Depuis l’assassinat de l’Empereur et le coup d’état d’Oddrrikk Heolian, tout l’Empire de Gwendalavir était en ébullition. Le Despote avait réussi le tour de force d’asseoir son pouvoir tyrannique en à peine quelques mois et de s’approprier le soutien des soldats de la Légion Noire, de la plupart des Dessinateurs et de bon nombre de politiciens peu scrupuleux qui voyaient en ce changement politique une occasion unique de gagner en puissance. Heolian, appuyant son emprise sur la terreur et l’effroi du peuple, laissait libre cours aux pulsions meurtrières et sadiques des différents malfrats qui souillaient les villes par des bains de sang et des pillages meurtriers. Bien qu’elle soit adolescente, Alyanna devinait très bien que Gwendalavir vivait l’une de ses périodes les plus noires…
Pour preuve : combien d’hommes avait-elle tués ? Quinze ? Vingt ? Trente ? Elle ne les comptait plus… mais elle savait que le nombre de vies qu’elle avait brisées de ses mains étaient bien trop importantes pour la conscience d’une jeune fille de seize ans. Certes, elle n’avait fait que défendre sa vie et sa dignité car, bien qu’elle ne possède aucun bien, sa beauté envoûtante et ses courbes généreuses poussaient les hommes à la prendre en chasse. Toutefois, elle en avait assez, assez de sentir ce sang souillé ses mains, assez de la violence dont elle était victime chaque jour, assez de sentir que le chemin qu’elle parcourait était jonché de cadavres. Et assez de voir une voie inconnue se dérober sous elle, une voie qui vivait en elle depuis son enfance…
Arrivée au pied de la plus haute tour d’Al-Far, Alyanna saisit une première prise puis commença son ascension. Grimpeuse aguerrie, elle ne retrouvait une paix intérieure que lorsqu’elle se trouvait en hauteur, que ce soit au sommet d’une tour ou d’un arbre, en train de jouer de cette flûte que sa mère avait dessinée pour elle.
Sa mère.
Alyanna ne s’était jamais recueillie sur sa tombe, ignorait même jusqu’à son emplacement. Elle n’avait remis les pieds dans la maison qui l’avait vue grandir depuis l’horrible jour où le bonheur s’était effondré, où elle avait perdu chacun de ses repères.
Akmet.
Elle l’avait si longtemps cherché, si longtemps espéré de le retrouver, de le serrer dans ses bras de nouveau, de rire et de jouer avec lui. Combien de fois, au détour d’une ruelle, avait-elle crue entrevoir l’éclat vert de ses yeux ? Combien de fois son image la hantait-elle ?
Son père.
Quatre ans qu’elle ne l’avait pas revue. Lorsqu’il l’avait quitté, à Fériane, avec la promesse de revenir dès qu’il aurait vengé Gueva et retrouver Akmet, elle était persuadée qu’il tiendrait parole. Mais… dès qu’elle fut remise de sa blessure, Alyanna avait quitté la Confrérie des Rêveurs, avec l’héritage de Sayin. Et avec le goût âcre de la vengeance dans la gorge. Elle n’en voulait pas à son père, elle savait qu’il reviendrait un jour et, cette fois, elle partira avec lui.
L’ascension de la tour, aussi haute fut-elle, ne nécessita pas que la jeune fille use de ses ressources d’acrobate pour qu’elle atteigne le sommet. D’un mouvement souple, elle se hissa sur la plate-forme de verre qui ornait la bâtisse avant de se stopper net.
Elle n’était pas seule sur le toit.
Un homme se tenait en face d’elle. De taille moyenne, des cheveux mi-longs qui retombaient sur ses épaules, vêtu de vêtements de cuir sombre qui mettaient en valeur son corps fin et musclé, il dégageait une époustouflante aura d’harmonie et de souplesse. L’évidence naquit dans l’esprit d’Alyanna avant même qu’un seul mot soit échangé.
Marchombre.
Cet homme était un marchombre.
Ses yeux de glace fichés en elle comme deux éclats de lumière pure, elle pouvait presque le sentir lire chaque parcelle de son âme, découvrir ses forces et ses faiblesses, ses certitudes et ses doutes, ses désirs et ses craintes. Il semblait délié son passé, son présent et son futur par la simple force de son regard. Subjuguée, l’adolescente se releva légèrement, sans chercher à se dérober à l’inconnu.
« Bonsoir Alyanna. » murmura ce dernier
Sa voix était calme et posée, aussi légère que la brise du vent. Elle fit pourtant l’effet d’une secousse à Alyanna qui s’ébroua :
« Qui êtes-vous ? Comment connaissez-vous mon nom ? » demanda-t-elle plus brusquement qu’elle ne l’aurait voulu
« Je suis Jillian Tervalt, répondit le marchombre avec un sourire serein, et le fait que je connaisse ne devrait rien avoir d’étonnant. »
« Que voulez-vous dire ? »
« Tu as pour réputation de résister aux pulsions masculines de manières assez… sanglante. »
Alyanna pâlit. Les paroles du marchombre étaient tout, sauf un éloge et, bien que le sourire de Jillian n’ait rien d’antipathique, elle ne pouvait s’empêcher de sentir un frisson glacé parcourir son échine.
« Vous me considérez comme une meurtrière ? » dit-elle sur la défensive
« Non, répondit Jillian, je te considère plutôt comme une jeune fille qui ne fait que se défendre. Et aussi comme une âme que le désir de vengeance et les fantômes du passé rongent. »
Frappée par les mots du marchombre comme par autant de poignards, la jeune fille chancela. Comment, en l’espace de quelques minutes, Jillian avait-il réussi à percer les mille et un secrets qu’elle n’avait jamais révélés ? Le marchombre s’approcha vers elle jusqu’à la frôler et Alyanna se noya dans l’océan de son regard. Une paix sereine et infinie glissa sur son âme, pour se nicher dans son cœur, effaçant effroi et doute.
« Si je suis là, c’est pour te permettre de retrouver cette voie qui vit en toi et de quitter celle dans laquelle tu erres, ce chemin mortuaire qui ne t’es pas destiné. La voie que je te propose est dangereuse, semée d’embûches mais elle t’offrira la Liberté. Cette liberté qui… »
« … est un cadeau unique et merveilleux, un cadeau dont la plupart des hommes en ont oublié la valeur. Mais il y a encore des êtres qui savent à quel point la liberté est précieuse. Pour ces êtres, la liberté est infinie, elle ne ploie devant rien, ni les chaînes, ni les lois, ni même la mort et elle ne fait qu’un avec la Voie. » acheva l’adolescente
Elle ne chercha même pas à comprendre comment des paroles prononcées par son père il y a de cela dix ans puissent ainsi jaillir de ses lèvres. L’important n’était pas là. L’important était que, enfin, elle la ressente pleinement.
La Voie des Marchombres.
Le sourire de Jillian s’élargit et ses yeux se mirent à briller :
« Tes paroles sont lumineuses, approuva-t-il d’un hochement de tête, je t’offre la possibilité d’arpenter cette Voie. Offre-moi trois années de ta vie durant laquelle je te formerais, trois années longues pavées de douleurs, de doutes durant lesquelles seule ma voix aura force de loi sur toi. Trois années durant lesquelles tu devras risquer ta vie et repousser tes limites. Trois années durant laquelle je t’aiderais à faire tes premiers pas sur la Voie. Si tu acceptes bien sûr. »
« Et si je refuse ? »
« Alors je rebrousserai chemin et tu n’entendras plus jamais parler de moi. »
« J’accepte. »
« Es-tu sûre de ton choix ? »
« Plus que jamais. » assura Alyanna d’une voix sans faille
Aucun doute, aucune peur dans le cœur de la jeune fille mais une certitude absolue.
Elle avait fait le bon choix et ce choix lui avait enfin ouvert les portes de ce monde de liberté dont elle avait toujours rêvé…