Elle marchait à grands pas dans les rues sombres de la ville endormie. Elle avançait en silence, la tête courbée sous le poids de la tristesse. Elle savait mais ne voulait pas l'admettre. Elle se souvint.
Dans son lycée, il n'y avait qu'un seul garçon avec lequel elle parlait. Elle était toujours seule mais avec Léo elle pouvait discuter. Ils se voyaient presque tous les soirs, dans le parc. Mais jamais elle n'était allée chez lui, ni lui chez elle. Ils se connaissaient depuis la sixième, voilà six ans de ça, ils étaient amis, seulement amis, au contraire de ce que disaient tous les autres.
Il n'y avait pas d'amour entre eux, pourtant il y avait un lien plus fort que l'amitié. Ils se disaient tout, leurs passions, leurs problèmes, absolument tout. Jusqu'à ce jour où tout bascula.
Léo n'était pas venu au lycée depuis trois jours. Lorsqu'il était revenu, il avait simplement dit qu'il était fatigué, mais elle ne l'avait pas cru. Lui, si fort, qui la protégeait de tout, absent pour fatigue ? Il était bon élève, elle savait qu'il aimait bien le lycée et ,surtout, il serait venu pour elle. Ce n'était pas possible. Il lui cachait quelque chose.
Elle n'avait pas découvert quoi mais, à partir de ce jour là, il commença à s'éloigner d'elle. Ses notes baissaient, il ne faisait plus ses devoirs, il séchait des cours. Elle ne parvenait pas à lui faire parler de lui, il ne venait presque plus à leurs rendez-vous quotidiens...
Il était ailleurs même quand il était près d'elle, elle s'en rendait compte. Un mois après il ne parlait plus. Du tout. Il ne voulait pas mais elle était persuadée qu'il n'aurait pas pu. Il avait enfermé ses mots au fond de lui. Il ne venait pas vers elle et elle était incapable de faire le premier pas. Elle ne savait pas quoi faire, elle restait seule, dans son coin, à se poser des questions et à l'observer. Elle avait peur, et mal pour lui.
Puis il arrêta de manger. Pas d'un coup, il avalait encore parfois certaines choses, mais progressivement il en vint à ne plus rien prendre. Il maigrissait à vu d'œil, semblait de plus en plus dépressif... Elle ne parvenait pas à comprendre ; elle n'essayait plus d'ailleurs. Accaparée par ses propres problèmes, elle était aussi ailleurs et, dans des éclairs de lucidité elle s'en voulait terriblement. Alors elle se renfermait sur elle-même rêvait. D'autre choses, d'autres mondes. Et pendant ce temps là, Léo était en train de se laisser mourir. Il ne venait plus au lycée, elle ne pensait presque plus à lui.
Et puis elle s'était souvenue et l'avait cherché. Elle s'était rendue compte qu'elle ne connaissait même pas son adresse. Quand elle le trouva enfin, ses parents, morts d'inquiétude, lui apprirent qu'il n'était pas rentré depuis des jours, et qu'ils ne savaient pas ce qu'il avait. Ne sachant que faire, elle avait erré dans la ville toute la journée à sa recherche et y était encore lorsque, au détour d'une ruelle, elle l'avait aperçu. Il était là, le visage émacié et triste à mourir, tremblant lorsqu'il lui avait prononcé quelques mots à l'oreille, d'une voix rauque de n'avoir parlé depuis des semaines :
- Tu ne peux plus rien faire pour moi. Ne me cherche pas. Adieu.
Et il était reparti sans qu'elle ai pu bouger. Elle était rentrée chez elle et s'était enfermée dans sa chambre, puis avait fondu en larmes. Deux jours complets elle était restée là, refusant de manger, sans dormir, pleurant toute les larmes de son corps jusqu'à ne plus en avoir. Car elle savait ce qui allait se passer. Le second jour, un fois la nuit venue, elle était sortie en silence, enjambant sa mère qui s'était endormie devant sa porte après avoir toute la journée argumenté pour qu'elle sorte.
Elle était partie sous les étoiles, dans le noir des ruelles.
Elle était là depuis des heures. Des heures qu'elle le cherchait. Elle savait ce qui allait se passer. La peur dans son ventre la faisait marcher encore et encore, malgré la fatigue qui l'étreignait. Épuisée, elle finit par s'asseoir sur un banc et, sortant un papier et un crayon, à la lumière des lampadaires, elle commença à écrire :
Léo,
Ce soir j'ai senti ce que tu t'apprêtait à faire. Tu ne m'a rien dit dessus mais c'était implicite dans tes mots. Je ne sais ce qui te pousse à faire ça mais moi je ne te laisserai pas. Je ne crois pas que je pourrais te retenir ce soir et il est probable que tu ne lira jamais cette lettre. Même si tu la vois un jour, ce ne sera rien pour toi. Je t'ai abandonné au moment ou tu avait des problèmes et je ne me le pardonnerais jamais. Je sais que tu ne fais pas ça à la légère et je ne te dirais pas « ne le fais pas ». Mais je peux te dire que je ne t'oublierais jamais et que s'il est trop tard quand j'arriverais, je ne t'en voudrais pas.
Je ne sais pas où tu est. Cela fait des heures que je te cherche mais je sais qu'il est trop tard. Tu est certainement là haut, sur un immeuble, près à mettre fin à tes jours. Je le sens. Je te retrouverais et j'ose espérer que tu y sera encore quand j'arriverais.
Je ne veux pas que tu saute mais si c'est ton choix, je le respecterais. Je t'aiderais même si tu me le demande. Pourtant j'aimerais tellement pouvoir te ramener, te dire « ne saute pas, souviens toi de nous » ! Je ne le peux pas et ne le veux pas. Fais le si cela peut te délivrer. Je ne pense pas pour autant que ce soit la bonne solution. Ne fuis pas la vie, affronte la, contourne là mais, s'il-te-plaît, reviens. Pardonne-moi. Parle-moi comme avant.
J'arrive. Maintenant je sais où tu est. Je te sens, mon frère de cœur.
Je ne te reverrais peut être pas mais sache que je t'aime énormément.
Adieu.
Elle se relève et enfouit la lettre dans la poche de sa veste.
Elle se dirige vers un parking désaffecté.
Tout en haut, une petite silhouette. Ses cheveux mi-longs volent autour de son visage, cachant ses larmes.
Elle se met à courir.
La silhouette s'envole.
C'est fini.
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Ce texte est inspiré de la chanson Spring nicht de Tokio Hotel et de son clip.
Sujet: Amis, même dans la mort 
