Suite !
Pas vraiment de révélations, mais une fin que j'ai pris beaucoup de plaisir à écrire ! =D
La Porte du Chaos
14. Otages
La liberté ne peut être que toute la liberté, un morceau de liberté n'est pas la liberté.
Auteur inconnu
Assise en tailleur sur le balcon d'une des plus hautes tours d'Al-Jeit, les yeux fermés, Ellana écoutait les murmures de la ville. En bas, les rues étaient animées, mais le brouhaha ne s'élevait pas jusqu'à elle. Là haut, les bruits de mêlaient. Les gens, le vent, la nuit. La jeune femme attendait. Elle avait souvent attendu depuis leur retour de Fériane, mais le moment était arrivé. Comme pour l'encourager, une bourrasque audacieuse secoua sa longue tresse noire. Un sourire naquit sur ses lèvres quand elle entendit son apprenti se hisser sur le balcon.
- Bien joué, jeune apprenti.
Salim écarquilla les yeux.
- Comment... ?
Un ange passa et Ellana leva les yeux vers lui, son regard étincelait.
- Je suis fière de toi.
Chose inhabituelle, la Marchombre se leva et le prit dans ses bras. Salim sentit une chape de fatigue s'abattre sur ses épaules, mais l'énergie nouvelle qui bouillonnait en lui était plus forte encore. Il avait réussi l'Ahn-Ju, il avait gagné le droit d'enseigner et de solliciter la greffe, et son coeur battait à grands coups dans sa poitrine.
Ellana le prit par les épaules et détailla son visage.
- Qu'est-ce qu'il y a ? S'étonna-t-il.
Un sourire triste lui répondit et Salim sentit son énergie retomber.
- Mauvaise nouvelle ?
- Non, bonne nouvelle.
Alors c'était une bonne nouvelle ? Mais pourquoi ce regard peiné ?
- Ewilan recommence à dessiner.
Salim bondit en l'air et, dans sa danse folle, il prit Ellana dans ses bras, la fit tournoyer, avant de reposer son professeur, le rouge aux joues.
- Excuse-moi !
La jeune femme se contenta de rire doucement, mais il perçut, une fois de plus, la tristesse qui se cachait derrière ce rire. Ellana était déchirée, et cette déchirure avait un nom. Edwin. Cela avait commencé avec leur retour à Al-Jeit...
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Une fois de plus, ils étaient réunis dans la salle des stratèges du palais de l'empereur. Sil'Afian, l'air sombre, les avait fait convoquer dès leur retour à Al-Jeit et Ewilan avait tout juste eu le temps d'embrasser ses parents. Tous les compagnons étaient là, y compris Sayanel et Daïd.
- J'ose espérer que votre voyage s'est passé sans encombres, commença-t-il.
- Nous avons été attaqués par des blancs, mais ils étaient en nombre réduit et ont rapidement fuit, rapporta Bjorn.
L'empereur acquiesça et se tourna vers Ewilan.
- Jeune fille, sache que je suis infiniment heureux d'avoir appris que tu étais en bonne santé et tous mes vœux t'accompagnent dans ton rétablissement.
Ewilan prononça un faible merci et Sil'Afian continua.
- Nous avons malheureusement appris une nouvelle plus alarmante ce matin-même. Nous avons reçu un autre message des Mercenaires, fit-il en désignant un rouleau de parchemin sur la table.
Siam se redressa vivement.
- A propos de mon frère ?
L'empereur acquiesça gravement. Ellana sentit son coeur faire un bond dans sa poitrine. Elle était assise à côté de la jeune Frontalière et, à cet instant, elle aurait juré que leur sang pulsait au même rythme soutenu dans leur poitrine, en attente du pire.
- Les Mercenaires du Chaos retiennent Edwin en otage. Au moindre mouvement de notre armée, ils l'exécuteront.
La Marchombre serra si fort ses accoudoirs que les jointures de ses doigts blanchirent. Salim prit la main d'Ewilan dans sa sienne, Sayanel et Daïd plissèrent les yeux, analysant l'information, et Mathieu se tourna vers Siam, mais le regard de la jeune Frontalière était dur et sans émotion.
- Ce sont là les seules conditions ? S'enquit Bjorn.
- Non, malheureusement. Ils ont également stipulé que chacun de vous, dit-il en les désignant d'un geste large, devra rester à Al-Jeit et que, si l'un de vous est aperçu en dehors de ces murs, ils le tueront également.
- Au moins, nous savons qu'il est en vie ! S'exclama maître Duom.
Sil'Afian hocha la tête et posa sur eux un regard sévère.
- Nous allons entamer les discussions avec les Mercenaires du Chaos pour récupérer Edwin. Pendant ce temps, aucun de vous ne pourra quitter Al-Jeit ou c'est sa vie que vous mettrez en danger.
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- Suis-moi.
Ellana entreprit de descendre de la tour et Salim la suivit tant bien que mal. Une fois au sol, elle l'entraina dans un dédale de ruelles sombres et ils se perdirent dans les méandres de la ville. La jeune femme connaissait le chemin, elle parcourait la cité d'une démarche rapide, fluide et déterminée. Son visage était dur et l'apprenti Marchombre ne se risqua pas à poser une question, de peur de recevoir une remarque cinglante, ou pas de réponse du tout. Ellana était comme ça depuis que Sil'Afian leur avait annoncé qu'il était hors de question pour eux de quitter la ville et de se lancer au secours d'Edwin. Tous savaient que la jeune femme n'était pas du genre à ronger son frein ni à attendre placidement que le beau temps revienne.
Après quelques minutes, la Marchombre poussa une porte au pied d'un bâtiment abandonné et entra. Dans le noir complet, ils montèrent au troisième étage où la pièce était éclairée par la lumière de la lune passant à travers la seule fenêtre qui n'était pas condamnée. Là, sur une table, étaient étalés toutes sortes d'objets, du poignard à la carte en passant par des fioles de poison.
- Je vais quitter Al-Jeit, annonça Ellana avec fermeté.
Salim déglutit avec difficulté. Il s'était attendu à ce genre de déclaration.
- Je vais partir, seule, et j'ai besoin de toi pour...
- Non !
Sayanel venait de faire irruption dans la pièce et l'apprenti Marchombre écarquilla les yeux. Une seconde plus tôt, ils n'étaient que deux dans le bâtiment Le Marchombre ne cesserait jamais de l'impressionner.
- Tu comptes essayer de me retenir ? Demanda la Marchombre d'un air désinvolte.
- Oui, pense à ton élève. Tu sais très bien que nous sommes pour la plupart suivis par des Envoleurs, toi et moi en particulier. Si tu pars, ils le tueront et Edwin aussi.
Ellana mit rageusement ses poings sur ses hanches.
- Il est hors de question que je reste ici les bras croisés !
Salim se fit tout petit. Il y avait de l'électricité dans l'air et l'idée de s'ingérer dans un conflit entre Ellana et Sayanel ne lui plaisait guère.
- Ce n'est pas seulement la vie d'Edwin qui est en jeu, mais aussi notre liberté. Je ne supporte plus d'être épiée sans cesse.
- Je comprend Ellana, mais il faut trouver une solution qui ne mettra personne en danger, tempéra le Marchombre.
- Que veux-tu que je fasse ?! S'emporta la jeune femme, à bout de nerf.
- Écoute...
- Non ! Toi, tu écoutes ! Tu t'inquiètes peut-être pour la guilde, mais c'est le dernier de mes soucis. L'homme que j'aime est retenu prisonnier par des gens qui m'ont poursuivie toute ma vie, par des gens qui ont déjà tué des êtres chers à mon coeur. Jamais je ne me le pardonnerais si je l'abandonnais aux mains des Mercenaires ! Ils ne vont pas le garder prisonnier éternellement ! Ils vont le torturer et le tuer !
Sayanel baissa la tête sans un mot. Salim, quant à lui, aurait voulu devenir souris pour se cacher dans un trou. Devant lui, Ellana bouillonnait de rage, les poings serrés et les muscles tendus. Mais la Marchombre, après quelques secondes, sembla reprendre le contrôle d'elle-même. Quand elle parla, ce fut d'une voix sarcastique et résolue qu'il ne lui connaissait pas.
- Il va pourtant falloir rester, n'est-ce pas ?
- J'ai bien peur que nous devions attendre et trouver un meilleur plan avant de tenter quoi que ce soit... Soupira Sayanel.
Ellana ferma douloureusement les yeux.
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Rapidement, Sayanel les avait quittés, vaquant à ses propres occupations, et elle avait congédié Salim pour que le garçon prenne du repos.
Quand Ellana s'assit au faîte de la tour, une tempête grondait à l'intérieur de son corps. Dans son esprit, les visages s'entrechoquaient, les événements se bousculaient et les mots défilaient sans qu'elle n'exerce la moindre emprise sur eux. La peur la tenait entre ses griffes. Plus que tout, elle voulait sauver Edwin mais, inconsciemment, elle imaginait retrouver son cadavre, voir son sang couler, et ces images la hantaient. Elle aurait voulu décocher un bon coup de pied dans le derrière du destin, juste une fois, pour renverser le sort qui s'acharnait sur elle et ceux qu'elle aimait.
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Le soleil, la vitesse, la course sur la plaine infinie... les Fils du Vent sur leurs bateaux à roues avec leurs grandes voiles triangulaires claquant dans le vent. Ellana descendit du grand mat et mit pied à terre. Plus loin sur la proue, elle apercevait Edwin. le Frontalier était appuyé sur le bastingage, contemplant l'horizon d'un regard éteint qui lui était de plus en plus familier.
Loin du monde, le temps s'était lentement écoulé pour les quatre compagnons. Ils étaient là depuis cinq mois, respirant la paix, la liberté et la sérénité, entourés par le vert sans fin des Plaines Souffle et, en paysage lointain, les pics couverts de neiges éternelles de l'Échine du Serpent. Même si elle avouait volontiers que Gwendalavir lui manquait, Ellana se plaisait dans cette vie.
Elle se dirigeait vers Edwin quand une vieille femme lui tira la manche et désigna le Frontalier du menton.
- C'est un homme déchiré entre deux mondes, ça se voit dans son regard. Tu ferais bien d'ouvrir les yeux, tu peux encore éviter l'orage qui se prépare.
Ellana savait à quel point les conseils des anciennes étaient importants aux yeux des Haïnouks, mais son couple ne la concernait en rien. Elle acquiesça gentiment et fit un pas en avant. La vieille femme la retint, agrippée avec fermeté à sa manche, son visage buriné prenant une expression grave.
- Quand tu cours après ton indépendance, il se retrouve confiné dans ton univers et, lorsque tu joues avec le vent, il tourne en rond comme un tigre en cage. N'oublie pas l'équilibre et l'harmonie, jeune femme, n'oublie pas !
La Marchombre regarda quelques secondes l'ancienne marcher à pas lent sur la plateforme et se glisser sous une tente. Équilibre et harmonie ? Ils étaient en elle, à travers le monde et l'altérité. Elle se dirigea vers Edwin. Le Frontalier se tourna vers elle et son regard gris acier reprit un peu de son éclat. Ellana passa ses bras autour de sa taille et se serra dans son étreinte, la joue contre le tissu doux de sa tunique.
- Tu t'ennuies ?
- Non.
- Menteur.
- Nous sommes ici depuis longtemps.
- Trop ?
- Possible.
- Et si on s'entrainait ?
Edwin fit la moue.
- La dernière fois qu'on s'est entrainés, c'était il y a trois mois et les anciens nous ont craché sur les pieds en hurlant qu'on pervertissait leurs enfants.
- Ils étaient juste sous le choc, tu les impressionnais. Mais tu as raison, c'est une mauvaise idée.
Ellana s'écarta et glissa sa main dans la sienne. Edwin lui sourit.
Sans un mot, elle prit le seul poignard qu'elle portait encore à sa ceinture et grava quelques mots dans le bois du bastingage. Le Frontalier suivit son geste par-dessus son épaule.
Éclat naturel
De lumière amoureuse
Sourire La Marchombre se tourna une nouvelle fois vers lui, s'approcha et happa ses lèvres.
- Je t'aime.
- Je t'aime aussi.
Dans le vent et la lumière, leur baiser avait un goût d'éternité. Ellana se blottit un peu plus contre lui, cherchant la force de ses bras et le contact de son corps contre le sien. Elle soupira de bienêtre.
Quand ils se séparèrent, une étincelle éloquente s'était réveillée dans les yeux de la jeune femme. Elle reprit son poignard et, le sourire aux lèvres, grava les mots qui faisaient tressaillir son coeur.
Comme de jeunes amants
Câlins sous la couette
Galipettes !Edwin pouffa et enfouit son visage dans son cou. Ellana serra sa main dans la sienne et l'entraina.
- Viens ! Rit-elle.
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- Qu'est-ce qu'il y a Salim ? S'enquit Ewilan en voyant le garçon chercher quelqu'un des yeux sur la proue.
- Je cherche Ellana.
- Je ne l'ai pas vue. Et toi, tu n'aurais pas vu Edwin ? J'ai un message de Sil'Afian pour lui.
- Introuvable lui aussi !
Les deux adolescent s'appuyèrent sur le bastingage et observèrent leur progression nocturne, sous la voute céleste où brillaient un millier d'astres. Salim leva les yeux au ciel. La beauté du paysage était à couper le souffle et, chaque soir, ils redécouvraient avec délice le panorama unique que leur offraient les Plaines Souffles.
C'est alors que les yeux d'Ewilan tombèrent sur la deuxième poésie d'Ellana. Le rouge lui monta aux joues, puis elle s'empressa de la cacher en posant sa main sur la rambarde.
- Il faut que je la trouve, c'est super important ! S'exclama Salim.
- Salim, on ne les trouvera certainement pas ce soir.
- Hein ?
- Je crois qu'ils ont des choses autrement plus importantes à faire pour le moment.
Le garçon lui lança un regard interrogateur. Le sourire sibyllin de la jeune fille lui répondit.