Voici le chapitre 4, intitulé "Ceux qu'on pensait avoir oubliés".
Je voudrais répondre aux deux derniers messages. J'aime beaucoup le style d'écriture de Pierre Bottero, et j'ai été très flattée par le message d'Ellanaoiseau.
Et je voudrais aussi répondre à Admin par la même occasion. J'avoue, au début, j'ai essayé de rester dans le même esprit que les livres, mais, ça fait des années que j'écris, et mon style propre commence à prendre le dessus, ce que vous allez sûrement remarquer dans la suite. A vrai dire, rien que le scénario est très éloigné des livres... ^^"
Bon, trève de bavardage, voici un peu de lecture pour vous !
La Porte du Chaos
3. Ceux qu'on pensait avoir oubliés
On connait depuis la nuit des temps les liens éternels et immuables qui lient un couple faël. C'est par cette découverte et la réflexion qui s'en est suivie que j'en suis venu à me demander ce qui différenciait les Alaviriens des Faëls. A vrai dire, la fidélité la plus semblable, je l'ai rencontrée au cours d'un séjour à la Citadelle. Frontaliers et Faëls, deux peuples qui se mêlent rarement aux autres, différents, et pourtant plus proches l'un de l'autre que des Alaviriens, et sans doute plus proches qu'ils ne le pensent.Seigneur Saï Hil'Muran, Notes personnelles, Voyages en Gwendalavir.
Au détour d'un virage, derrière un rideau de branchages, la maison de pierre blonde apparut. Une vague de nostalgie submergea la Marchombre. Elle l'attrapa, l'apprécia, et la remit en place parmi ses souvenirs. C'était l'imposante bâtisse où elle avait séjourné avec Jilano, son maître marchombre, Sayanel, son meilleur ami, et Nillem, l'élève de Sayanel, avant de partir en quête de la greffe. Avec Nillem, elle avait traversé le Désert des Murmures, mais elle seule avait gravit le Rentaï, la montagne qui accordait la greffe à quelques rares élèves. Elle était revenue, récompensée, et Nillem l'avait attendue, sa fierté bafouée, sa voie plus qu'incertaine. Le jeune homme qui l'aimait avait fait une mauvaise rencontre, au mauvais moment. Nillem avait plongé. Il avait plongé droit dans un gouffre. Il n'avait pas réussi à surmonter le refus du Rentaï, son âme s'était fissurée. Nillem était devenu Mercenaire du Chaos, il avait trahi. Aujourd'hui, un abîme les séparait. Elle ne l'avait plus jamais revu et ne savait pas si elle devait espérer qu'il soit mort ou toujours en vie.
Sa monture s'ébroua et tira la jeune femme de son anamnèse.
- Je sais, je sais, le rassura-t-elle en lui flattant l'encolure.
Murmure s'avança vers la bâtisse, trottant sur le chemin herbeux constellé de flaques de lumière, nées des rayons de soleil qui filtraient à travers les frondaisons.
Désormais, sa vie avait pris un tournant, un courbe, sans quitter sa voie principale. Les paroles de Jilano résonnèrent encore une fois dans son esprit. « L'amour est une voie au même titre que la voie des Marchombres », avait-il dit un jour.
Avec ses compagnons de voyage, elle avait découvert l'amitié, une vraie amitié, forte de belle, prête à surmonter tous les obstacles. Mieux, ils étaient un famille. Avec Edwin, elle avait trouvé l'amour qu'elle espérait et, même si la pensée d'un avenir ensemble ne faisait encore que l'effleurer,
elle la savait toute proche. Au-delà des responsabilités qu'il serait tôt ou tard amené à prendre, la certitude de vouloir être à ses côtés n'avait fait que grandir au fil du temps. Se rencontrer, s'aimer, vivre, ... fonder une famille. Pour une raison qu'elle n'identifiait pas encore clairement, un sourire naquit sur ses lèvres. L'image de sa mère s'imposa à son esprit. Isaya. Isaya qui avait quitté la voie des Marchombres pour choisir celle de l'amour. Isaya qui l'avait cachée des Raïs, qui avait donné sa vie pour elle. Par amour.
D'un bond, la jeune femme mit pied à terre. Elle installa Murmure dans une stalle adjacente à la maison et entra dans la bâtisse. Sans précipitation, elle déambula de pièce en pièce, la paume glissant le long des murs, frissonnant au contact rude de la pierre, au contact de ses souvenirs. Elle revit Jilano lui parler, l'entrainer. Elle se souvint des crissanes dorées qu'elle et Nillem avaient chassées à travers la forêt. Elle regarda à travers une vitre un peu trop sale, se revit, son sac sur l'épaule, partir pour le Rentaï en compagnie de Nillem. Jilano qui n'était plus. Nillem qui avait disparu. Sayanel qui avait survécu. Et elle aussi. Le souvenir d'Essindra revint avec force. Essindra la vipère, la traitresse, le venin et l'envenimeuse, ainsi que son compagnon, Ankil Thurn, monstrueux serviteur du Chaos. Ellana frissonna.
Ce temps-là était révolu. Elle n'était plus seule. Elle avait changé, rayé Nillem de sa vie, même si elle savait que le temps n'arriverait pas à le rayer de sa mémoire. Serrant ses bras autour d'elle, elle sortit de la maison de pierre blonde et leva les yeux vers le ciel clair et dégagé de ce début de soirée. Oui, cette époque là était bien loin. Elle vérifia une dernière fois que Murmure ne manquait de rien puis s'installa dans la maison. Demain, elle repartirait vers d'autres souvenirs, baignés dans la douceur de l'amitié.
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- Ellana ! S'exclama Aoro en voyant la Marchombre passer la porte de l'Auberge du Monde, une expression de bonheur absolu peinte sur le visage.
Il se précipita vers elle et la prit dans ses bras. Il s'écarta ensuite de la jeune femme et croisa les bras en la fusillant du regard.
- Cela fait des mois que tu n'es pas venue, c'est inadmissible !
Elle lui rendit un sourire amusé.
- Et je plaide coupable. J'aurais dû te prévenir. Mais tu sembles tellement contrarié que je commence à me demander si je ne devrais pas faire demi-tour et aller raconter mes aventures de l'autre côté de la Mer des Brumes à l'arbre du coin.
L'aubergiste blêmit, attrapa le bras d'Ellana et l'entraîna à une table sur la terrasse de bois rouge surplombant le lac, la forçant presque à s'asseoir sur sa chaise.
- Ne bouge pas !
Aoro se précipita à l'intérieur et tambourina sur la porte des cuisines.
- Oûl ! Apporte-nous quelque chose, Ellana est de retour !
Il courut ensuite vers la terrasse et s'assit vivement en face de la Marchombre.
- Raconte-moi tout, la pria-t-il en arborant un immense sourire.
- Ça risque d'être long.
- J'ai tout mon temps, nous n'avons pas beaucoup de clients ces temps-ci.
- A cause de ces bandits, les Blancs ?
- Oui, mais raconte.
- Comme tu voudras, lâcha Ellana, levant les bras au ciel en signe d'impuissance.
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- Incroyable... Souffla Aoro dans un élan d'admiration.
Le soleil s'était couché depuis longtemps déjà et le temps, dont la douceur avait persisté jusqu'à la fin de son récit, commençait doucement à se rafraîchir.
Ellana s'étendit, étouffant un long bâillement.
- Je te garde toujours ta chambre préférée, elle est toujours prête, au cas où tu te déciderais à passer.
La Marchombre sourit en finissant de s'étendre et s'apprêta à se lever pour rejoindre son lit douillet.
- Attends, il y a un type qui est passé, il y a quelques jours. Il disait qu'il te cherchait.
Soucieuse, la jeune femme fronça les sourcils. Salim était parti en mission et devait actuellement être aux abords d'Al-Vor. Edwin était sûrement à Al-Jeit ou quelque part entre la capitale et la Citadelle. Bjorn écumait les routes pour désinfecter la plaie qu'étaient les attaques des Blancs. Les autres options étaient encore moins envisageables. Sayanel peut-être ? Elle avait pourtant entendu d'autres Marchombres qu'il était à Al-Chen quelques jours plus tôt.
- Comment s'appelait-il ?
- Euh... Je ne sais plus, je ne lui ai pas accordé beaucoup d'attention à vrai dire. Je ne me souviens plus s'il s'est présenté...
- A quoi ressemblait-il ?
- De taille moyenne, je crois qu'il avait un sabre accroché dans le dos. Il n'avait pas l'air commode...
Ellana s'enfonça dans son siège écoutant la description d'Aoro d'une oreille, plongée dans ses pensées. Ce ne pouvait être Edwin. Elle le connaissait assez pour savoir qu'il ne se lancerait pas sur les routes pour la chercher alors qu'il était convenu qu'ils se reverraient à Al-Jeit ou à la Citadelle. Et il se serait présenté, étant donné qu'elle lui avait déjà parlé de l'Auberge du Monde et d'Aoro tout comme elle avait parlé de lui à l'aubergiste. Par ailleurs, si urgence il y avait, Ewilan, ses parents ou même Maître Duom l'auraient contactée. Elle prêta une oreille attentive à la suite de la description.
- Il avait les cheveux courts, environ la trentaine et des yeux bleus ou gris... Bleu je crois, un peu comme du cobalt. Mais il m'a lancé un de ses regards méprisants...
Aoro fit la moue.
- Je n'aime vraiment pas ce type...
La Marchombre lança un curieux regard à son ami. Ses yeux cobalt, sa suffisance, son âge, la description concordait. Pourquoi refaisait-il surface alors que, quelques jours plus tôt, elle avait justement recommencé à penser à lui ? Surtout au moment où sa vie amorçait enfin une courbe douce et paisible. Mais la jeune femme chassa ces souvenirs à grands coups de volonté. Elle se leva et souhaita une bonne soirée à son ami. S'il la cherchait, il n'aurait qu'à chercher encore, elle n'avait aucune envie de lui faciliter la tâche.
- Je vais me coucher. Tu diras à Oûl qu'il s'est surpassé, c'était délicieux.
Aoro esquissa un geste pour la retenir, mais Ellana était déjà partie.
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Edwin flatta l'encolure de Nuit d'Hiver alors qu'il se remettait en selle.
Hier, en fin de soirée, il avait traversé le fleur Gour par un passage peu profond qu'il connaissait, avant de camper sur l'autre rive. Depuis qu'il avait quitté Al-Jeit, il n'avait fait aucune mauvaise rencontre, animale ou bipède. D'ailleurs, il n'avait fait aucune rencontre du tout. En temps normal, seules les caravanes empruntaient la route du Nord pour ravitailler des fermes isolées où charger des marchandises, mais le Frontalier avait bifurqué dès les premiers kilomètres, ne suivant aucune voie particulière, longeant les Montagnes de l'Est. Il était passé à proximité de Fériane, sans ralentir. Il avait eu son lot de compagnie chez les Haïnouks et, son seul désir actuel était de retrouver les siens. Les Fils du Vent, pour sympathiques et amusants qu'ils soient, n'étaient pas les siens. Il lui tardait de voir les remparts de la Citadelle se profiler à l'horizon.
Il approchait désormais une forêt composée de rougeoyeurs, d'hêtres et d'autres arbres de la région. Le soleil, piquant à travers les feuillages bien fournis, répandait ses flaques d'or sur le sentier de terre, alors qu'un vent puissant venu du Nord malmenait les frondaisons.
Un fois de plus, la certitude d'avoir été trop loin de ses terres, et pendant trop longtemps, le prit au coeur avec une force insoupçonnée. Il avait passé près de vingt ans loin des Marches sans ressentir un tel désarroi. Les missions, les batailles, le travail avaient pleinement occupés son esprit. Il avait mis ses sentiments et ses envies de côté pour l'Empire. Aujourd'hui, il était libre.
Libre... Ses pensées dérivèrent presque automatiquement vers Ellana. Où était-elle ? Que faisait-elle ? Des questions qui resteraient en suspens, et certainement sans réponse. A cet instant, il comprenait parfaitement ce qui l'avait poussée à entreprendre un voyage en solitaire. Être seul, réfléchir à soi et à rien d'autre, se retrouver. Il ne s'inquiétait pas, tout comme il était totalement certain qu'elle ne s'inquiétait pas pour lui. Ils se reverraient dans peu de temps.
Le Frontalier inspira profondément. C'est alors qu'il tournait la tête pour observer un siffleur qui venait de passer à toute vitesse que son regard capta un éclat métallique, arme ou armure. Un détail, une seconde, les fourrés se déchirèrent, s'ouvrant sur un groupe de bandits des routes.
Nuit d'Hiver s'arrêta à quelques mètres d'eux. Edwin détailla ceux qui lui faisaient face. Cinq. Cinq brigands armés de lances courtes et édentées, vêtus de tuniques blanches. Non, pas des brigands, une groupe organisé et, au vu de leur équipement de bonne qualité, un groupe avec des moyens conséquents. Des Blancs.
Le plus grand des cinq, armé, à la différence des autres, d'une lourde hache de combat, pointa son arme vers lui.
- Toi, ton cheval contre la vie sauve !
Le Frontalier leva un sourcil, un sourire ironique au coin des lèvres.
Un des Blancs à l'arrière donna un coup de coude à son voisin en désignant la garde du sabre dépassant de ses épaules.
- C'est un Frontalier ! Chuchota-t-il à l'autre qui lui rendit un regard en biais.
- Oui, mais nous sommes à cinq contre un et nous avons Olgron ! Fit le deuxième en désignant l'homme à la hache.
Edwin vida les étriers et mit pied à terre.
- Ah ! Enfin quelqu'un de raisonnable ! Lança Olgron avec satisfaction.
Le Frontalier flatta l'encolure de Nuit d'Hiver avant de claquer de la langue. Le grand étalon sombre s'en alla en trottant brouter de l'herbe un peu plus loin.
- Hé ! Tu as entendu ce que je t'ai dit ?! Fulmina le chef de la bande.
- Parfaitement, répondit calmement Edwin. Mais je suis pressé et je ne peux me passer de ma monture pour le moment.
D'un geste fluide, il dégaina son sabre.
- Très bien ! Conclut Olgron. Alors tu mourras ! J'ai déjà tué des gens de ton espèce, et vous ne valez guère mieux que des barbares. Vous ne méritez pas les éloges qu'on fait de vous !
- Ben voyons...
- A l'attaque !
Ils se précipitèrent sur lui. Tous les cinq. Un frisson d'ivresse parcourut le dos du Frontalier. Son premier combat depuis des lustres. Un sentiment qu'il n'avait plus ressentit depuis des années refit soudain surface. L'envie du combat. Il eut, à cet instant, une courte pensée pour sa jeune soeur. Il leva les yeux au ciel. Décidément, ça devait être dans le sang.
Edwin s'effaça d'un mouvement d'épaule, évitant au dernier moment le coup de hache mortel qui avait fusé vers sa tête. Son sabre fouetta l'air, trancha une gorge alors que son genou s'enfonçait brutalement dans les côtes d'Olgron qui se plia en deux. Le Frontalier bougea pour éviter un coup de lance, attrapa la tête d'Olgron, se déplaça et abattit violemment la garde se son sabre à l'arrière du crâne du chef de la bande. Deux Blancs à terre. Le troisième se condamna de lui-même, hurlant en se jetant sur lui par derrière. Il s'abaissa, fauchant les jambes de l'imprudent qui s'étala de tout son long. Le Blanc n'eut pas le loisir de se relever. Le pied d'Edwin le cloua au sol et son sabre revint, le perforant de part en part.
Les deux survivants se concertèrent du regard avant de s'enfuir à toutes jambes dans la forêt.
Nuit d'Hiver vint poser sa tête sur l'épaule de son cavalier. D'un geste fluide, il essuya sa lame ensanglantée et la rengaina dans le fourreau pendu entre ses omoplates, puis se hissa sur le grand étalon sans daigner se servir des étriers.
Il jeta un regard aux trois hommes morts. Il laissait ceux-là aux charognards. Un peu plus loin, il découvrit un amoncellement d'armes. Il n'était à proximité d'aucune route, il avait du les surprendre alors qu'ils s'apprêtaient à partir.
Il talonna sa monture qui s'avança au trot sur le sentier. Les Blancs étaient organisés, le fait était trop évident pour qu'il ne s'en soucie pas. Ces bandits avaient un but, et sûrement des chefs. Le Frontalier fronça les sourcils. Non, Gwendalavir n'était pas encore en sécurité.
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Edwin rencontra les premiers Frontaliers sur sa route à près d'un jour de cheval de la Citadelle. Apercevant un cavalier seul dans les plaines, ils s'étaient approchés et, remarquant d'abord qu'il était des leurs, et ensuite qui il était, ils se précipitèrent vers lui, les femmes l'accueillant avec les cris aigus traditionnels traduisant la joie de retrouver l'un des leurs.
Le groupe était composé d'une douzaine de personnes, sept hommes et cinq femmes, de vingt à quarante ans. De retour d'une longue et fructueuse chasse aux raïs, quand le soleil déclina à l'horizon, ils s'assirent tous autour d'un grand feu, préparant ensemble le repas, deux siffleurs sauvages abattus le soir même. Ils avaient poursuivi une petite horde de guerriers cochons et les avaient arrêtés aux portes d'une ferme fortifiée. Les propriétaires les avaient ensuite accueillis pour la nuit et ils avaient repris la route de la Citadelle tôt ce matin.
- Bon appétit, fit un homme du même âge que lui en lui tendant une assiette de ragout bien remplie.
- Merci.
L'homme en question était un de ses nombreux cousins, Wildus. Il était de taille moyenne, avec des cheveux châtains mi-longs et des yeux clairs et rieurs.
- Alors, il paraîtrait que tu es casé, fit Wildus, semblant de rien.
Edwin ne répondit pas et se concentra sur son assiette.
- Avec un jolie Marchombre en plus !
Le Frontalier reposa son assiette en soupirant. Heureusement, quelqu'un d'autre vint à sa rescousse.
- Arrête donc de l'ennuyer, Wildus !
Edwin lança un regard plein de gratitude à Hedi.
Encore une cousine. La trentaine, un longue natte de cheveux blonds posée sur son épaule, les poings sur les hanches, des yeux gris et déterminés où brillaient une flamme espiègle, Edwin et Ludovika avaient grandi ensemble, appris ensemble, combattu ensemble. C'était une guerrière d'exception, une Frontalière d'exception, mais surtout une femme d'exception.
Il se leva pour l'étreindre. Sa cousine lui fit un clin d'oeil.
- Et puis, je suppose que tu nous présentera ta belle assez tôt !
Edwin leva les yeux aux ciel.
Hedi avait fait partie de la Légion Noire, elle l'avait suivi à Al-Jeit. C'est là qu'elle avait rencontré l'homme avec qui elle partageait sa vie depuis plusieurs années, un légionnaire, un ami, qui était venu se fixer à la Citadelle une fois la guerre contre les Raïs remportée. Tous deux étaient les heureux parents d'un garçon de cinq ans dont il avait été désigné comme parrain.
Elle lui ébouriffa amicalement les cheveux.
- Comment vont Luther et le petit ? S'enquit-il auprès d'Hedi qui s'asseyait à côté de lui.
- Luther aime beaucoup sa nouvelle vie, répondit-elle en se servant une assiette. Et Falkos se manie déjà le sabre comme un vrai Frontalier !
- Il a de qui tenir, sourit-il.
Edwin passa une main dans ses mèches blondes. Il ne s'était pas très souvent coupé les cheveux depuis qu'il était parti avec les Haïnouks et sa blondeur, à l'image de celle de sa soeur, reprenait lentement mais sûrement le dessus.
- Ca fait longtemps qu'on ne t'as plus vu dans le coin, lui lança Wildus avec un coup de coude dans les côtes.
- Je profitais de mes vacances.
- Ah ! Il y en a qui ont de la chance ! Fit-il en levant les bras au ciel.
- Demain, en fin de matinée, nous serons à la Citadelle, annonça sa cousine.
- D'après ce que j'ai entendu, Siam a joliment envoyé Akiro sur les fleurs, sourit Edwin.
Hedi éclata de rire.
- Elle a fait le meilleur choix ! Ses amis ne l'ont plus approchée pendant des semaines, quand elle est revenue avec lui, et sans sabre !
- Je m'en doute.
- Siam, abandonnant son honneur et sa fierté pour un petit dessinateur d'Al-Jeit ! J'ai dû le voir pour le croire ! S'exclama Wildus.
- Pff, un gringalet en plus ! Rajouta sa cousine. Incapable de tenir correctement une lame et de défaire plus de deux Raïs d'affilée ! ...
Edwin lança un regard en biais à ses deux cousins. Oui, il était déjà à la Citadelle.
Akiro s'était fait complètement démonter en moins de deux minutes chrono. C'était un dessinateur, il aimait l'art, la culture et il était profondément dégoûté du combat et du sang, ... Vivre dans les Marches du Nord ? Il aurait parié qu'il ne tiendrait pas longtemps...
Avec un pincement au coeur, la situation souleva une nouvelle question. Et Ellana ? Elle savait se battre, refusait de se laisser diriger, de courber l'échine face aux hommes, elle était forte, indépendante. Autant de qualités qui feraient d'elle quelqu'un d'apprécié dans le Nord. Mais elle avait également un goût prononcé pour la solitude et la tranquillité alors que, chez lui, tous vivaient dans une communauté très solidaire et soudée. Le Frontalier se prit la tête entre les mains.
C'est alors qu'il remarqua que Wildus, comme Hedi, le fixait, les yeux rieurs, un sourire au coin des lèvres. Il leur lança un long regard d'avertissement.
Solidaires et unis, cela suffisait à traduire sa pensée.
« Vous serez sages, d'accord ? Pas de remarque déplacée, pas de connerie, pas de commentaire. »
Hedi et Wildus haussèrent les épaules. « Nous essayerons. »
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- Grand frère !
Edwin eut à peine le temps de se retourner pour voir sa soeur lui sauter au cou, dans un des élans d'affection dont il connaissait la signification.
- Siam !
La jeune fille lâcha prise avant de l'étouffer.
- Siam ! Siam ! Cirèrent des voix.
C'est alors que tout une meute de jeunes Frontaliers dévalèrent la rue, s'arrêtant à une quinzaine de mètres. Les jeunes hommes appelèrent sa soeur, qui désigna fièrement son frère du doigt.
- J'embrasserai celui qui vaincra mon frère !
Edwin se massa les tempes.
- Siam ! Se plaignirent-ils.
- Princesse, non !
- Siam, s'il te plait !
Un sourire victorieux s'afficha sur le visage de la jeune Frontalière, puis elle congédia ses prétendants d'un geste de la main.
- Plus tard ! Je veux passer plus de temps avec mon frère, je viens tout juste de le retrouver.
Les bras ballants, les jeunes hommes libérèrent la voie.
Siam passa son bras autour du sien.
- Tu m'as manqué, grand frère !
- Toi aussi, Siam, toi aussi.
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Le frère et la soeur marchèrent ensemble jusqu'aux portes du palais. Siam s'arrêta.
- Bon, je te laisse discuter avec père et, après, on ira chasser !
Edwin ne put retenir un sourire. Il tourna les talons et posa une main sur l'épais battant de bois.
- Ed ? L'interpela-t-elle doucement.
Le Frontalier se tourna vers sa soeur.
- Harryo est revenue.
Edwin écarquilla les yeux.
- Harryo ? Où est-elle ?! Je croyais qu'elle était morte ! S'exclama-t-il.
- Moi aussi, je croyais qu'elle était morte ! Elle est passée il y a quelques jours, elle te cherchait.
- Et maintenant, où est-elle ? A-t-elle dit où elle partait ? S'empressa-t-il de s'informer.
- Non, mais il n'y a pas beaucoup de routes ! Vers le Sud, où vers l'Oeil d'Otolep !
Le Frontalier tourna sur lui-même, passa nerveusement un main dans ses cheveux en se mordant la lèvre inférieure. Que faire ?
Il se précipita brusquement dans la rue, à l'inverse du palais.
- Dis à père que je serai bientôt de retour !
- Edwin !
- Et dis-lui aussi d'envoyer plus des nôtres pour s'occuper des Blancs !
- Grand frère, attends !
Edwin était déjà trop loin pour entendre.